L’économie verte c’est la qualité de vie
Comment concilier décroissance et revendications salariales ? Comment convaincre de la nécessité de produire mieux et moins ceux qui veulent gagner plus ? Pascal Canfin, journaliste à Alternatives Economiques, tente d’articuler la vision écologiste avec la nécessité de prendre en compte les préoccupations immédiates du plus grand nombre.
La façon dont on aborde l’économie, traditionnellement chez les Verts, c’est en remettant en cause le « toujours plus, » et le binôme dans lequel nous sommes qui est : société du travail, société de consommation. Il faut travailler si l’on veut consommer, et comme pour consommer il faut un revenu, et que pour avoir un revenu il faut travailler... la boucle est bouclée.
Ce qui fait l’immense majorité des réflexions sur l’économie porte sur la société de consommation, la société du travail, et pour mettre tout ça sur une dynamique positive en termes quantitatif, il faut de la croissance.
C’est de cette façon que le débat économique se pose, et nous, nous sommes en décalage par rapport à ça. Décalage idéologique, par rapport à la question de la valeur travail, et aussi décalage pragmatique.
Ce qui est intéressant, c’est que l’on a des indicateurs alternatifs, qui existent depuis une vingtaine d’années, développés notamment par les Nations Unies mais aussi par la Commission Européenne. Aux Etats-Unis on a un suivi de ces indicateurs alternatifs depuis une vingtaine d’années, parallèlement au PIB.
On voit que la courbe du PIB aux USA ne cesse d’augmenter, mais l’indicateur du bien-être, depuis vingt ans stagne, voire diminue. C’est-à-dire que l’on a une déconnection de notre bien-être social, collectif, par rapport à la création de richesses strictement économiques et financières.
Par exemple, en 35 heures un salarié français crée beaucoup plus de valeur ajoutée qu’un salarié chinois en 60 heures. Car nous incorporons dans notre travail plus de capital, plus de savoir faire, plus de formation, ce qui fait que on est plus productifs en 35 heures, on crée plus de valeur ajoutée, qu’un chinois en 60 heures.
C’est un premier argument qui justifierait que nous travaillions moins. Ou que si l’on travaille plus que l’on diminue notre productivité. Je n’ai pas entendu dire que si nous travaillons plus cela allait diminuer notre productivité, car évidemment lorsque les entreprises ont mis en place un système de production elle ne vont pas en changer par ce que vous allez travailler deux heures de plus.
Dans ce cadre là, cela justifierait que l’on soit un peu en dessous en terme d’horaire de travail, mais ce n’est pas le cas. Lorsque l’on regarde au niveau global les heures travaillées et que l’on divise par le nombre de personnes qui travaillent, on est dans la moyenne des pays « riches » c’est-à-dire des pays de l’OCDE.
Nous ne sommes pas des fainéants - au contraire nous sommes les plus productifs au monde. Et en terme de temps de travail nous nous situons au milieu. Contrairement à ce qu’a dit Sarkozy dans le débat avec Royal, partout le temps de travail continue de diminuer. Aux USA, en Allemagne, au Japon cela continue à diminuer, car on fait des gains de productivité chaque année, et une partie de ces gains de productivité sont réaffectés à la diminution du temps de travail.
La diminution du temps de travail peut-être organisée de deux façons : soit par le marché, soit par le dialogue social ou l’Etat, les politiques publiques.
Avec le marché, certains travaillent trois heures, cinq heures dix heures, et d’autres travaillent 42 ou 45 heures. Aux USA on a des ouvriers dans l’industrie qui travaillent 42 heures, et des millions de travailleurs pauvres dans les services, qui travaillent 5, 10 ou 15 heures.
Si on laisse faire le marché, on peut avoir comme cela une certaine forme de réduction du temps de travail. Les emplois qui sont créés sont des emplois à 15 heures, pas des emplois à temps plein, donc la durée du travail par emploi diminue, mais de manière inégalitaire, non satisfaisante, précarisante.
Cela prouve bien tout de même que la durée moyenne d’un emploi diminue, spontanément, dans l’économie telle qu’elle fonctionne aujourd’hui.
Et puis il existe la façon « de gauche » d’organiser ce phénomène, qui est de dire : évitons que les uns doivent travailler 42 heures et doivent payer des baby-sitter et ne voient pas leurs enfants, et que d’autres qui travaillent 15 heures aient des revenus de deux ou trois cent euros à la fin.
Essayons de revoir comment on peut construire des dispositifs collectifs qui organisent - pas le couperet qui tombe. Forcément c’est un peu plus compliqué, c’est un peu plus contraignant, mais en même temps, cela permet de faire moins de précarité, d’obtenir une meilleure articulation de la vie personnelle et de la vie professionnelle.
Face à l’économique, nous sommes face à deux projets de société et deux façons d’agir sur ce phénomène.
Nous avons pour la première fois un exemple dont nous pouvons nous enorgueillir, car il a été très fortement porté par les verts au Parlement européen, c’est la directive Reach, qui est entrée en vigueur le 1er juin, il y a quelques jours.
Elle dit à l’industrie chimique : « vous pouvez produire où vous voulez vos substances, en Inde, en Chine, au Brésil, mais vous ne pouvez pas vendre sur le marché de l’Union Européenne si vous ne respectez pas les contraintes posées par cette directive. »
Contraintes que nous estimons insuffisantes, mais qui ont le mérite d’exister.
Cela a demandé trois ans, quatre ans de lobbying énorme pour en arriver là. C’est probablement la législation la plus ambitieuse au niveau mondial.
Il y avait justement un chantage aux délocalisations, et la façon de dépasser ce chantage - que l’on aura en permanence si l’on dit si vous produisez en France, en Europe, vous serez soumis à telle contrainte, si vous produisez au Brésil vous n’êtes pas soumis à la contrainte - c’est de changer la façon dont on légifère pour passer d’une législation du site de production à une législation d’accès au marché.
Cela a effectivement été un peu vidé de sa substance parce que c’est tellement fort, tellement contraignant, que le MEDEF et ses équivalents en Europe ont fait un lobbying monstrueux.
Pourquoi est-ce que cela a quand même tenu ? Parce qu’il y a eu une alliance entre les syndicats et les ONG environnementales. C’est cette alliance qui a tenu en permanence, portée notamment par les verts au Parlement Européen. Nous y sommes la quatrième force politique, donc cela a un poids, même si avec les nouveaux pays entrants nous avons perdu un peu en proportion.
La façon dont nous abordons les questions économiques, est en décalage par rapport à la façon dont les autres partis l’abordent. Décalage qui est positif dans la mesure où il nous permet d’avoir un regard critique, mais qui est parfois perçu comme étant tellement décalé qu’il est « hors sol » en quelque sorte.
Tout l’enjeu dans la campagne, malgré cette volonté propre aux verts de critiquer les catégories économiques, que cela soit le PIB, la croissance, la consommation, c’est quand même d’y rentrer - sans se perdre - et de montrer comment des politiques « écolos » permettraient quand même d’augmenter l’emploi, d’augmenter le revenu, d’augmenter le pouvoir d’achat.
C’est compliqué, il faut tenir la ligne, être à la fois en décalage car on veut critiquer la façon dont l’économie fonctionne aujourd’hui, poser la question du sens poser la question des finalités, de la mesure de la richesse, et en même temps dire, si on avait les clés en matière économique, cela ferait plus d’emploi, plus de revenu, plus de pouvoir d’achat.
J’ai eu au téléphone un candidat vert qui va être interrogé ce soir sur le pouvoir d’achat. Doit-on rentrer dans cette notion de pouvoir d’achat où il y a deux mots très intéressants, qui sont liés, et que nous réfutons ?
Doit-on dire « non seulement on a rien à dire sur le pouvoir d’achat nous les écolos mais en plus on est contre ? »
Ou devons nous dire, on part de ça, et on dit à la fin : « est-ce que consommer c’est être plus heureux ? Est-ce que vous êtes plus heureux si vous avez un deuxième écran plat ? »
La question du sens, qui repose la question du pouvoir, il ne faut surtout pas l’abandonner, mais elle ne peut être que seconde dans le discours.
A partir du moment où nous n’arrêtons pas de dire que le PIB est un mauvais indicateur quand il croît, se donner comme objectif de faire décroître le PIB, alors que nous disons que c’est un mauvais indicateur, c’est assez paradoxal.
Nous sommes plutôt sur une logique de croissance de l’indicateur de développement humain, de bien être, un indicateur X, que l’on aura choisi, qui sera l’indicateur international ou français ou européen, peu importe, mais qui sera un indicateur qualitatif.
C’est cela que nous voulons faire croître, le bien être, la qualité de vie.
Et nous voulons faire décroître l’empreinte écologique. Nous savons très bien que pour parvenir au facteur quatre il faut faire pleins de progrès techniques, plein d’innovations, mais il faut aussi consommer moins en terme d’unité.
Il faut que chaque bien produit soit plus écolo, mais il faut aussi qu’à la fin il y ait un peu moins de biens consommés, sinon on n’y arrivera pas suffisamment par rapport aux enjeux.
Tout l’enjeu c’est de populariser, de montrer, de crédibiliser le fait que l’on peut faire croissance du bien être, et réduction de l’empreinte écologique.
Pascal Canfin
auteur de L’économie verte expliquée à ceux qui n’y croient pas
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