Le rapport cancer des Académies et l’œuf de Colomb
Article transmis par André Cicolella – Responsable commission Santé des Verts
J’ai eu plusieurs demandes au sujet du rapport Cancer des Académies et du CIRC, sur le comment : comment peut-on arriver à une conclusion aussi divergente des autres estimations ? Cela peut sembler surprenant en effet, pour les non-scientifiques, car la littérature scientifique est censée être la même pour tous. Et en science 1+ 1= 2 pour tout le monde. En fait, il faut comprendre que cette question n’est pas une question scientifique , mais est directement une question citoyenne, c’est la question de la déontologie de l’expertise.
L’expertise des Académies peut être assimilée à l’œuf de Colomb. Mis au défi de faire tenir droit un œuf, Christophe Colomb avait trouvé une solution très simple : le casser à son extrémité. Il s’affranchissait ainsi des « règles de déontologie » implicites. A leur façon, les Académies utilisent le même procédé. Ils s’affranchissent des règles de déontologie de l’expertise :
- le rapport des Académies est présenté comme étant l’état de la science, or le comité d’experts n’a pas respecté le principe de l’expertise contradictoire. Il est étonnant qu’aucune voix ne se soit faite entendre dans ce comité pour émettre un autre avis. Ce n’est un secret pour personne qu’il y a des scientifiques qui ont une analyse différente (dont moi-même). Or ceux-ci n’ont pas été sollicités.
- les données qui gênent ne sont pas analysées (c’est le cas de l’étude sur le cancer de l’enfant qui montre une augmentation de + 1% par an depuis 30 ans …étude pourtant réalisée par le CIRC !) ou sont discréditées,
- soit en contestant leur qualité ; un procédé courant de l’industrie est de financer des études pour émettre un avis contraire à une étude qui la dérange. Il est alors facile de dire comme le font les Académies : l’étude a fait l’objet de critiques….sans dire ni de la part de qui, ni si ces critiques étaient fondées !
- soit en estimant que si l’étude est significative statistiquement avec une probabilité à 5 % , il existe donc une chance sur 20 pour que cela soit du au hasard. Ils disent alors « On ne peut écarter que cet effet positif soit le fait du hasard ». Evidemment avec un tel argument pseudo-scientifique, on peut invalider toute étude, quelle qu’elle soit
- soit en dernier recours en demandant que l’étude soit répliquée
C’est la méthode qui avait été utilisée par le rapport d’expertise de l’AFSSET sur les champs électromagnétiques et qui concluait à leur innocuité.
C’est pour éviter ces manipulations de l’expertise , qu’il est nécessaire de mettre en place une Haute Autorité chargée de définir les règles de déontologie et de les faire respecter, une sorte de CNIL de l’expertise.
L’autre question est aussi une question citoyenne, c’est celle du degré de preuve acceptable. Les Académies considèrent qu’il est nécessaire d’avoir une preuve épidémiologique, c’est à dire une preuve chez l’homme. Des données positives recueillies par l’expérimentation animale ne sont pas suffisantes à leurs yeux, encore moins pour des données recueillies sur les cellules.
Elles n’appliquent pas ainsi le principe de précaution, qui consisterait à agir à partir d’un élément de preuve sans attendre d’avoir la preuve absolue, laquelle n’est que très rarement accessible et de plus ne peut être obtenue qu’une fois les dégâts faits.
C’est avec ce même raisonnement que l’amiante a continué d’être utilisée pendant des décennies. Les preuves n’étaient pas suffisantes et il est évident au yeux de l’industrie que ces preuves ne le sont jamais assez et, quand elles le sont, il suffit de manipuler la substance avec précaution (c’est la thèse de l’usage contrôlé). La demande citoyenne est d’agir avant que les dégâts n’aient lieu et qui peut dire que cette demande n’est pas légitime ?
Pas plus qu’on ne peut considérer que Christophe Colomb ait vraiment réussi à faire tenir droit son œuf, on ne peut considérer que le rapport des Académies et du CIRC ait réussi à évaluer correctement l’impact de l’environnement sur le cancer.
En ne respectant pas les règles de déontologie scientifique, ce rapport apparaît plus comme un document de propagande que comme un rapport scientifique. Par delà les aspects manipulatoires de la déontologie scientifique, la responsabilité des auteurs du rapport Cancer est engagée vis à vis des victimes de l’épidémie, tout comme l’a été celle des auteurs des rapports précédents de ces mêmes académies qui blanchissaient l’amiante et la dioxine. Un tel rapport ne peut avoir pour effet que de donner un alibi scientifique à ceux qui font passer l’intérêt économique avant la santé publique. Les scientifiques sont aussi responsables devant la société.
2 commentaires:
André Cicollela n'est pas un scientifique mais un militant extremiste connu depuis longtemps.Le principe de précaution est appliqué pour l'amiante car il existe des grandes entreprises solvables qui peuvent être attaquées en dommages et intérêt.Comment se fait-t'il que personne ne parle de la silice cristalline qui s'est révélé aussi cancérogène que l'amiante?Pourquoi personne ne veux classer cancérogène de l'oesophage les boissons brûlantes?Etc,etc...Les enjeux politiques et les enjeux de dommages et intérêts sont largement plus forts que l'objectivité scientifique et les verts sont très forts pour la médiatisation politiquement correcte et soigneusement contrôlée...
Pour confirmer le sens et la teneur de notre message, voici la teneur du Pr Belpommme tel qu'il vient de le présenter à l'Assemblée Nationale.
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Mais peut-être considez-vous le Pr Belpomme est un dangereux terririste ?
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Alors qu’aucun résultat d’étude épidémiologique n’est encore paru, le professeur Belpomme a présenté à l’Assemblée nationale le 17 septembre un rapport alarmiste (1) affirmant que les pesticides utilisés aux Antilles, ou l’ayant été, ont un impact sanitaire sur la population.
Associations et agriculteurs ont depuis longtemps alerté sur la contamination de terres, d’aliments et d’eau (2) par le chlordécone, pesticide utilisé jusqu’aux années 1990 aux Antilles. Finalement, c’est le cancérologue Dominique Belpomme, président de l’Association thérapeutique pour la recherche anti-cancéreuse (Artac), qui a permis la mise en lumière du problème, en présentant à l’Assemblée nationale un rapport sur l’impact sanitaire des pesticides utilisés en Guadeloupe et en Martinique. Un argumentaire qui suscite toutefois des interrogations: les habitants sont-ils victimes d’un véritable empoisonnement, et l’affaire est-elle, comme Dominique Belpomme le prétend dans une interview parue dans le Parisien du 17 septembre, «beaucoup plus grave que celle du sang contaminé»?
Dans son rapport, celui-ci estime qu’aux Antilles françaises et plus particulièrement en Martinique, la baisse de la fécondité et la possibilité d’une augmentation d’incidence des malformations congénitales et de troubles du développement chez les enfants relèvent de maladies liées à des pesticides (chlordécone, paraquat, et autres). Il réclame la mise en place d'un plan de sauvetage des Antilles pour éviter un «désastre sanitaire».
Mais la prudence reste de mise. L’Institut de veille sanitaire (InVS) rappelle ainsi qu’«à ce jour, aucun lien n’a été démontré entre l’exposition aux pesticides aux Antilles et les observations sanitaires qui y sont effectuées». Par exemple, «la plus grande fréquence absolue du cancer de la prostate aux Antilles par rapport à la métropole peut être expliquée par l’origine ethnique de la population, facteur de risque bien documenté aux Etats-Unis».
L’Union des groupements de producteurs de banane de Guadeloupe et Martinique (UGrPBAN), qui a demandé la saisie de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), insiste de son côté sur l’absence de preuve d’un potentiel impact sanitaire. A cela, Marie-Line Pirbakas-Groevius, porte-parole des Verts de Guadeloupe, réplique: «Si l’on est le deuxième endroit au monde pour les cancers de la prostate, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas, sachant que le chlordécone et d'autres pesticides ont été utilisés ici sans protection et en excès».
Deux études épidémiologiques majeures menées par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sont en cours. L’étude Ti Moun évalue l’impact d’une exposition prénatale au chlordécone sur le développement des enfants et concerne 1.200 femmes enceintes. L’étude Karuprostate examine le lien éventuel entre une exposition au chlordécone et l’apparition de cancers de la prostate. Mais dans son rapport, Dominique Belpomme s’interroge: «Pourquoi, avant de procéder à des études épidémiologiques longues et coûteuses, n’a-t-on pas envisagé la réalisation d’études de biomonitoring, cherchant à mettre en évidence sur un nombre limité de malades atteints de cancers de la prostate, les polluants chimiques, en les dosant dans le tissu graisseux, le sang et le tissu prostatique lui-même?».
Le fond du problème reste malgré tout sans solution: le chlordécone est toujours présent dans le sol antillais, et il n’existe pas, à ce jour, de technique de dépollution. «On veut que l’Etat mette des moyens dans la recherche pour trouver rapidement un antidote», lance Marie-Line Pirbakas-Groevius.
(1) «Rapport d’expertise et d’audit externe concernant la pollution par les pesticides en Martinique. Conséquences agrobiologiques, alimentaires et sanitaires et proposition d’un plan de sauvegarde en 5 points», 23 juillet 2007, Artac
(2) Voir l’article du JLDE: «La Guadeloupe toujours en lutte contre le chlordécone»
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