Restaurer et protéger la qualité des ressources en eau
Des eaux de qualité dégradée qui risquent de ne pas atteindre le bon état en 2015
Selon les états des lieux réalisés par les 6 bassins versants français à la demande de la directive cadre européenne sur l’eau (DCE), l'état des eaux est si médiocre en France (avec 50 à 75% de masses d'eau sérieusement dégradées) que l'objectif de bon état écologique fixé par la DCE est quasi-inatteignable si les tendances actuelles se poursuivent.
La directive européenne 2000/60, dite directive-cadre sur l'eau (DCE) engage les pays de l'Union Européenne dans un objectif de reconquête de la qualité de l'eau et des milieux aquatiques. Son ambition : les milieux aquatiques (cours d'eau, plans d'eau, lacs, eaux
souterraines, eaux littorales et intermédiaires) doivent être en bon état (physico-chimique et biologique) d'ici à 2015, sauf si des raisons d'ordre technique ou économique justifient que cet objectif ne peut-être atteint.
Cet objectif doit être atteint au moyen d'un plan de gestion fixant les objectifs à atteindre par masse d’eau, à élaborer d'ici 2009. Il s’agira en France de la révision des 6 SDAGE (schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux, un par bassin versant) et des programmes de mesures qui en découleront, à définir d'ici 2009. Une forte impulsion politique pourrait permettre un vrai virage de la politique de l’eau. Or si les tendances actuelles se poursuivent, la France aura beaucoup de mal à se mettre en conformité à cette directive.
Les états des lieux montrent en effet que :
• dans l'hypothèse la plus optimiste, moins de 50% % des masses d'eau (de surface et outerraines) pourront atteindre le bon état écologique d'ici 2015 et seulement 25 % dans l'hypothèse la plus pessimiste.
• 50 % à 75 % des masses d'eau de surface et souterraines sont gravement dégradées, 25 % des masses d'eau sont dans un bon état probable, 25 % sont à risque, 23 % présentent un doute.
Cet état de fait est notamment dû à l’agriculture. En effet, d’autres données (IFEN, ministère de la santé) pointent plus particulièrement le problème des pesticides :
• En 2002, 201 molécules différentes ayant servi dans des pesticides ont été trouvées au moins une fois dans les eaux de surface, et 123 dans les eaux souterraines ; or même si une partie de ces molécule est homologuée et n’est trouvée qu’à de très faibles doses, la communauté scientifique ne sait encore rien des effets cocktail et à long terme de ces substances sur l’organisme humain, tout en soupçonnant le pire…
• 80% des analyses des eaux de surface montrent la présence de pesticides, et 57% pour les eaux souterraines (sachant que les molécules trouvées proviennent parfois d’épandage ancien de plusieurs dizaines d’années)
• en 2003, 9% de la population (5 millions de personnes) desservies en eau « potable » ont connu une situation de non respect des limites réglementaires pour les pesticides ; la consommation d’eau du robinet a dû être interdite dans une trentaine de départements (164 000 personnes).
Par ailleurs des captages d’eau sont régulièrement abandonnés du fait de la pollution des ressources par les nitrates ou les pesticides, et le coût de l’eau du robinet augmente constamment, notamment du fait des traitements très coûteux nécessaires pour éliminer les pesticides.
Ces résultats négatifs ne prennent en compte que les micropolluants les plus connus, à savoir nitrates et pesticides. Les micropolluants émergents et les polluants d'origine microbiologique dont les impacts sur la santé humaine, les populations animales et les écosystèmes sont avérés ont été exclus de l'état des lieux faute de moyens. Parmi les micropolluants émergents, pour ce qui concerne l’agriculture on peut mentionner les produits pharmaceutiques qui se retrouvent dans les eaux usées par le biais des effluents agricoles et les molécules de substitution de pesticides. Parmi les polluants d'origine microbiologique, on peut citer les micro algues qui émettent des toxines nuisibles aux organismes aquatiques. Les cyanobactéries (algues bleues vertes ou cyanophycées) sont des micro-organismes photoautotrophes qui colonisent la majorité des écosystèmes terrestres et aquatiques. Bien qu'elles aient normalement une existence planctonique, les cyanobactéries peuvent former des agrégats vert olive à la surface de l'eau (fleurs d'eau).
En juillet 1998, en Bretagne du Nord, l'estuaire de la Rance a été fermé à la pêche à cause de la présence d'une de ces micro-algues :l'Alexandrium. Plus récemment, la présence persistante des dinophysis, une micro algue toxique a conduit à interdire pendant 5 semaines la vente des huîtres du bassin d'Arcachon. La richesse nutritive des eaux, en partie due aux effluents riches en nitrates de l’agriculture favorise le développement de ces micro-algues.
Sur le plan quantitatif, les prélèvements agricoles représentent 68% des prélèvements en eau en moyenne en France (80% en période estivale), provoquant des tensions plus ou moins forte sur la ressource.
La DCE a été transposée en droit français le 21 avril 2004. Elle demande à ce que les citoyens soient associés aux décisions à prendre, et à ce qu’une transparence des coûts et des paiements pour l’eau soit assurée. Aujourd’hui, l’agriculture française consomme 75% des ressources en eau (pour l’irrigation) et utilise 90% des pesticides, tout en ne contribuant au budget des agences de l’eau qu’à hauteur de 4% (quand les ménages contribuent à hauteur de 82%, et l’industrie, de 14%).
Le gouvernement a présenté la nouvelle Loi sur l'eau, en vue d'atteindre un bon état écologique en 2015. Mais ce débat, comme la politique agricole actuelle, dénote le manque de volonté politique :
• Pas de véritable taxation des pesticides (la TGAP sur les phytosanitaires ne devrait guère augmenter), alors que nos voisins du nord (Danemark) ont démontré qu’une taxation incitative (35% du prix du produit) avait un réel effet sur la consommation • Le gouvernement se contente de promouvoir des « bonnes conditions agroenvironnementales » ou une réforme de la PAC en espérant qu’elles « modifieront les comportements agricoles et favoriseront les pratiques extensives »
• Le Plan interministériel de réduction des risques liés aux pesticides, prévu sur la période 2006-2009 est loin d’être à la hauteur et dénote le manque d’ambition politique (aucun objectif quantifié de réduction…).
Face à ces constats alarmants je propose :
• La généralisation à terme d’une agriculture Haute Performance Environnementale qui sera compatible avec une bonne qualité de l’eau : non usage des pesticides, ni des engrais de synthèse, revalorisation des haies, usage du compost et du fumier1, rotations courtes des cultures et sols couverts en hiver.
• En attendant, l’encouragement de pratiques favorables à la qualité des eaux notamment en utilisant des outils comme les mesures agri-environnementales (MAE) et hausse conséquente de la taxe sur les pesticides
• D’encourager les plans de gestion et programmes de mesures du bassin versant Seine Normandie à viser des niveaux d’ambition élevés (recherche du bon état au maximum, limiter au minimum les dérogations d’objectif).
• De favoriser les actions préventives plutôt que préventives et en particulier d’encourager le développement de contrats entre collectivités et agriculteurs protégeant les ressources en eau (sur le modèle de la ville de Munich3)
• D’amplifier les mesures de protection des zones humides qui ont un rôle diffus non négligeable dans la protection des ressources en eau et dans la gestion des inondations
• D’encourager l’utilisation d’espèces et de variétés ainsi que les pratiques (mulch, Bois Raméal Fragmenté) minimisant les besoins en eau d’irrigation
• la suppression de la prime « irrigation »,
• Généraliser l’usage d’outils de diagnostic agri-environnemental simples et rapides à utiliser (type indicateurs IDEA).
Des solutions à mettre en oeuvre en association avec tous les citoyens :
Sur le plan environnemental, l’intérêt du compostage est majeur. En ralentissant la solubilisation de l’azote, cette pratique permet d’éviter les pics de lessivage des nitrates, fréquemment constatés au printemps et en automne. L’entretien du capital humique permis par le compostage entraîne une meilleure « tenue » des sols sur le plan structural. Le comportement hydrique et thermique du sol se trouvant ainsi amélioré, l’activité microbienne est mieux entretenue, ce qui favorise l’efficience des engrais.
L’implantation de cultures intermédiaires pour protéger le sol, récupérer l’azote et nourrir les animaux ou l’adoption de systèmes herbagers basés sur les associations type graminées – trèfle blanc, réduit les pressions polluantes.
En 1991, la Ville de Munich (plus d’1M d’hab.) a décidé de mener un programme incitatif de conversion à l’AB des exploitations agricoles situées dans les zones d’influence de leur captage d’eau. Cette zone couvre 6 000 ha, dont 2 250 sont cultivés et 2 900 occupés par la forêt (dont la moitié appartient à la Ville).La Ville a passé un accord avec les associations reconnues, et propose aux agriculteurs qui y adhérent une aide de 274 €/ha/an pendant 6 ans puis de 230 €/ha/an pendant 12 ans. Cette aide s’ajoute aux subventions de L'État dans le cadre des MAE qui s’élèvent à environ 153 E/ha/an. En 1999, 92 exploitants avaient passé un contrat avec la Ville, soit 2 200 ha, dont 1 600 situés dans la « zone de conversion », correspondant à 70% des surfaces agricoles de cette zone. Le coût pour la Ville est de 0,8 M€/an, soit environ 6 centimes/m3 d’eau produite.
Jacqueline FIHEY
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